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Bénédicte Linard, ministre de la Culture: «Il est urgent que vienne l’aide du fédéral aux artistes» !

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ENTRETIEN

Par Alain Lallemand

Journaliste au service Culture

Le 26/04/2020 à 18:18

La culture était la grande absente du programme de déconfinement dévoilé vendredi soir. Même le mot « cinéma » glissé par certains parmi les activités envisageables au 8 juin ne fait pas partie de la communication officielle. Où en est-on réellement ? Certains libraires vont pouvoir rouvrir le 11 mai, certains musées le 18. Mais encore ? Revue de détail avec la ministre de la Culture Bénédicte Linard (Ecolo) des aides d’urgence, du déconfinement et du redéploiement du secteur.

Avant toute chose, il y a une demande appuyée des artistes et des opérateurs pour que les aides soient transparentes. Allez-vous publier les montants des aides, leur distribution ?

Je ne sais pas ce qu’en serait l’intérêt, j’avoue ne pas m’être posé la question. Ce qui est important, c’est que chacun puisse être aidé là où il a besoin de l’être. Il est certain que l’entièreté des demandes passera devant le gouvernement, qui aura lui aussi une vue très claire des aides.

La demande du secteur est surtout de comprendre les taux, les seuils, en clair connaître et comprendre les critères d’aides.

Il y a une incompréhension quant aux seuils théoriques que nous avons utilisés, qui nous ont permis d’identifier quels étaient les besoins globaux de la culture. Ils n’interviennent pas du tout dans l’attribution des indemnisations. Nous avons consulté le secteur pour savoir quel était, sur une période donnée, l’impact des pertes de recettes pour les artistes, techniciens, opérateurs, compagnies, etc. Nous avons dû faire des calculs – en utilisant des taux – qui nous ont menés à un montant global que j’ai défendu auprès du gouvernement. Mais ces seuils et quotas n’interviennent pas dans les calculs d’indemnisation. Chaque demande est légitime si elle rentre dans les critères fixés par le gouvernement.

C’est ainsi que vous avez calculé une perte de recettes de 8,4 millions pour la période du 14 mars au 19 avril. De nouvelles enveloppes d’aides vont-elles voir le jour pour les prochains mois de confinement et déconfinement ?

Pour être honnête, l’aide d’urgence a été prolongée jusqu’au 3 mai sans modifier le montant budgétaire. Parce qu’on a réfléchi à la spécificité du monde culturel : il est non seulement touché durant le confinement, mais il va aussi probablement être très impacté dans les années qui viennent. Nous devons penser le soutien à la culture autrement qu’en semaines de confinement. Aujourd’hui, toutes les demandes d’indemnisation sont valides jusqu’au 3 mai, mais nous sommes en train de recontacter les fédérations professionnelles pour voir comment on déconfine et comment on repense l’accès à la culture. Et puis il faut y associer les secteurs qui n’étaient pas repris dans cette première aide, comme la chaîne du livre ou les festivals. Il n’y a pas que l’aspect financier. Pour penser le déconfinement, nous tenons tous les jours de cette semaine des concertations – par secteurs désormais – pour voir comment tenir compte des réalités de chaque secteur. C’est la manière la plus intelligente d’avancer : identifier les besoins, construire les solutions ensemble, puis déterminer l’intervention financière. On passerait à côté des besoins réels des secteurs si on ne se projetait pas à plus long terme.

Quand l’argent va-t-il être perçu ?

C’est certain que cela prend trop de temps. L’administration a travaillé sur un formulaire spécifique au monde culturel, qui devait être en ligne au plus tard cette semaine. Toutes les demandes vont être collectées. Il y aura donc un temps de collecte, puis d’examen par le gouvernement – qui a demandé à pouvoir y jeter un œil : il est important d’avoir une vue globale. Les versements se feront ensuite. Mais ce ne sera pas dans les deux semaines qui viennent, ça, c’est certain.

Les bénéficiaires seront essentiellement des opérateurs et compagnies…

Tous ceux qui peuvent prétendre à une indemnisation (NDLR : « opérateurs culturels » et « producteurs audiovisuels »). La culture est mue par des techniciens et artistes dont le statut dépend du fédéral. Il y a donc clairement une urgence à ce que le fédéral se positionne sur les aides qu’il va pouvoir leur apporter. Cela fait des semaines qu’on alimente le fédéral en réalités de terrain : on leur a demandé de neutraliser la période de crise en matière d’accès au statut d’artiste, d’amener de la souplesse dans le tax shelter, de permettre aux artistes de pouvoir bénéficier du chômage pour cause de force majeure, de tenir compte des contrats de très courte durée, etc. On nous annonce un arrêté royal depuis plusieurs semaines, cette semaine encore on nous a dit qu’il était imminent. Il est urgent que l’aide du fédéral vienne parce que la Fédération n’a pas les prérogatives pour répondre à tout ce que les artistes sont en droit de recevoir dans cette crise.

Sans ressources, les « travailleurs autonomes », qui n’ont ni chômage ni statut d’artiste, ni contrat, ni Dimona, voient – à cause de l’encombrement des espaces de répétitions et des plateaux – leurs projets reportés à 2022. Est-ce qu’il y a de l’aide pour eux, par exemple une mobilisation des instances d’avis pour débloquer des budgets spéciaux ou obtenir des décisions accélérées de subvention de leurs projets individuels ?

Chaque fois que possible, on essaie d’avancer les délais. Cela a été le cas pour les subventions (NDLR : le gouvernement a approuvé jeudi une volée de subventions annuelles de théâtres), et toutes ces questions font partie du travail mené en ce moment. Je sais que des artistes passent sous le radar et sont en zone grise. On doit pouvoir aussi travailler pour ces personnes. Même sans statut, s’ils avaient des contrats, ils vont pouvoir être soutenus. Ce qui se construit aujourd’hui, c’est que ces personnes puissent trouver leur place dans le paysage culturel du déconfinement et du redéploiement, et être soutenues comme tout travailleur. Je n’oublie pas ces artistes et techniciens. Il y a aussi ces opérateurs très peu subsidiés et qui sont pourtant des acteurs majeurs dans le paysage culturel : on doit aussi pouvoir trouver une réponse à la diversité du monde culturel. Je ne vais pas dire que c’est facile, mais on le garde bien en tête.

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«Il ne suffit pas de permettre aux gens de revenir dans les salles»

Mis en ligne le 26/04/2020 à 17:58 Par Alain Lallemand

Le déconfinement se prépare avec chaque secteur de la culture. Les libraires rouvriront sans doute dès le 11 mai, mais l’avenir des salles de spectacle est plus sombre : aux exigences sanitaires s’ajoutent les impératifs de rentabilité.

Vous entamez cette semaine un second tour de consultations. Sur l’urgence ou sur le déconfinement ?

Les contacts sont permanents, et on commence à évoquer le déconfinement. Le secteur des bibliothèques s’est réuni vendredi et à nouveau ce lundi : elles imaginent comment reprendre petit à petit leurs activités. Mardi ce seront les arts vivants puis les centres d’expression et de créativité (CEC) et les pratiques artistiques en amateur. Mercredi, ce sont les musées et probablement les archives, jeudi les centres culturels, l’éducation permanente et les arts plastiques. Nous n’attendons pas les décisions du Conseil national de sécurité pour commencer à penser à la suite, et cela peut – je l’espère – alimenter en retour le CNS.

Qui participe à ces groupes de travail sectoriels ?

Les fédérations de chaque secteur, nos partenaires depuis le début, ainsi que les instances d’avis. On essaie également d’associer les syndicats.

Peut-on rêver d’un budget pour aider au déconfinement ? Aider les théâtres, les centres culturels, voire certains cinémas, à financer les investissements sanitaires nécessaires au déconfinement ?

Je ne peux pas encore répondre à cette question. Je préfère voir avec le secteur ce que sont les besoins avant de donner des réponses. Les discussions nous guident dans ce qu’il faut mettre en place.

En déconfinement, il y aura un gros problème de scène. Est-ce que la RTBF, qui pèse presque autant que tout le budget de la culture, ne devrait pas devenir – pour six mois peut-être – la vitrine de la culture confinée, en dégageant par exemple une chaîne qui deviendrait le plateau permanent des arts de la scène ?

La RTBF peut jouer un rôle et a déjà commencé à élargir certaines plages culturelles qu’elle ne développait pas auparavant. Il y a aussi des demandes des télévisions locales. Les médias ont déjà fait montre de volontarisme pour aider la culture. On peut imaginer que la RTBF puisse aller plus loin dans le soutien au secteur culturel.

Les librairies ouvrent le 11 mai, en même temps que les autres commerces ?

Je l’espère, c’est ainsi que je l’ai compris. Si elles sont en mesure de mettre en place les mesures sanitaires, je suis très demandeuse qu’elles puissent rouvrir.

Les musées le 18 mai…

Je me réjouis de voir que la demande des musées a été entendue. Ils doivent eux aussi pouvoir mettre en place un dispositif de distanciation. Tous ceux qui seront en mesure de la faire pourront, j’imagine, rouvrir le 18 mai. On affinera cette question mercredi, lors de nos rencontres avec eux.

Quand les bibliothèques rouvrent-elles ?

Cela a été une gestion compliquée puisque le CNS a décidé de les laisser ouvertes avec un service de prêt, et j’ai dû diffuser une circulaire qui remettait en exergue les mesures de sécurité. De leur initiative, avec l’administration, les bibliothèques se sont réunies vendredi et ont plusieurs étapes en tête : le retour des livres qui ont été empruntés durant le confinement, la manière dont on va pouvoir emprunter les livres désormais, les horaires et modalités d’ouverture, l’éventuelle consultation de collections et ses modalités, l’accès aux salles de lectures – a priori, elles resteraient fermées plus longtemps –, etc. La question des animations se posera dans une deuxième phase. Tout cela est en train d’être analysé par le secteur qui est en train de proposer des solutions phasées dans le temps.

Cinémas et théâtres : quand ? Au vu de l’hypothèque qui plane sur septembre, la saison 20-21 devrait-elle être raccourcie ?

Il y a des réalités très différentes, des jauges très différentes entre le Théâtre de Liège, l’Opéra Royal ou un centre culturel qui aurait une salle de cent places. Je n’ai pas aujourd’hui de réponse, j’ai davantage de questions. Il ne suffit pas de permettre aux gens de revenir : s’il n’y a pas de personnes en suffisance dans une salle, cela ne permettra pas de faire vivre un spectacle. J’espère pouvoir faire des propositions pour rouvrir certains lieux en tenant compte de la dimension sanitaire : la priorité aujourd’hui, c’est la santé, maintenir les courbes épidémiques au plus bas. Mais il n’est pas inenvisageable de rouvrir certaines salles. Il ne faut pas se faire d’illusion : avant un certain temps, on ne retournera pas à ce qui existait avant la crise. Mettre 1.000 personnes dans un espace confiné, aujourd’hui ce n’est pas possible.

Puisqu’à partir du 8 juin, des « événements en plein air de plus petite envergure » (que les festivals) pourraient éventuellement être autorisés, doit-on favoriser le théâtre en plein air ?

Chaque événement culturel possible en regard des exigences sanitaires doit pouvoir exister. On doit aussi pouvoir créer de nouvelles formules. Si on veut permettre au secteur culturel de revivre, tout ce qui est possible doit pouvoir être mis en place, et on devra être très créatif en mettant en place des choses qu’on n’avait pas imaginées précédemment. Des stages doivent aussi, à un moment donné, pouvoir prendre à nouveau place, avec la distance nécessaire pour ne pas mettre à mal la santé collective. Le besoin de culture n’est pas qu’économique, il est aussi indispensable pour la vie sociale et le bien-être de tout un chacun.

J’allais vous parler des centres d’expression culturelle et de la possibilité de relancer des stages à partir du 8 juin…

Nous rencontrons les CEC mardi. Chaque secteur doit pouvoir imaginer comment relancer ses activités de manière progressive.

Pour les festivals qui ne vont pas se relever de cet été et vont mourir, la Fédération va-t-elle pouvoir les aider ?

On rencontre les festivals pour identifier leur situation réelle. C’est un maillon de la chaîne culturelle, il est normal que la Fédération puisse envisager un soutien aux festivals.

À propos de la chaîne du livre, une catastrophe est annoncée au sein des éditeurs belges pour l’automne, et vous avez retenu l’idée d’un contrat de filière renforcé. Quelles perspectives concrètes ?

Le soutien risque probablement d’être multiple. Nous avons un point d’attention pour tous les maillons de la chaîne, que ce soit les auteurs, les libraires et les bibliothèques, les éditeurs, les traducteurs, etc. via un contrat de filière renforcé mais aussi, éventuellement, une aide d’urgence à apporter. Je préfère aboutir avec le secteur avant d’aborder les détails. Tout n’est pas encore finalisé.

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«Si cette crise tue la culture, elle tue la Fédération d’une manière ou d’une autre»

Mis en ligne le 26/04/2020 à 18:28 Par Alain Lallemand

Les subventions culturelles sont toutes maintenues, l’ajustement budgétaire est reporté. Mais il n’y aura pas de baguette magique et se pose la question de la finançabilité de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Vous parlez déjà redéploiement avec une « task force » constituée d’artistes, d’experts, d’universitaires ?

Oui. On doit faire de cette crise une opportunité pour repenser la place de la culture dans la société. Cela nécessite d’avoir des points de vue variés et de faire valoir l’intelligence collective. Les artistes sont aux premières loges, les fédérations ont un point de vue plus global, les universitaires ont des points de vue complémentaires, il est extrêmement motivant de penser dès maintenant ce redéploiement sur des années. On n’attend pas la fin du déconfinement pour commencer à y penser.

Des « solutions créatives » mais aussi intersectorielles ?

Oui. Autant les groupes de travail « déconfinement » doivent travailler par secteurs selon les spécificités de chacun, autant ce qui sous-tend la culture est transversal. Ce sera intersectoriel – avec même une ouverture en dehors des secteurs culturels – en allant chercher à la fois un mélange des genres établis et de genres émergents.

Le ministre du Budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles parle d’un trou de 900 millions – trois années de budget de la culture ! Est-ce que cela ne va pas simplement tuer les perspectives de la culture ?

Si cela tue la culture, cela tue tout le monde et cela tue la Fédération d’une manière ou d’une autre. Il faut être un peu prudent sur les chiffres : le ministre du Budget a dit que sur base des perspectives macroéconomiques actuelles du Bureau du Plan (on sait que dans un mois, cela peut changer sans doute pas vers quelque chose de beaucoup plus positif), on pourrait augmenter le déficit de la FWB d’un peu plus de 800 millions d’euros, alors que le déficit actuel au budget initial est de 700 millions. Davantage que la question du budget culturel, se pose la question de la finançabilité de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est un autre chantier qui doit s’ouvrir aujourd’hui sur ce point car, si on peut imaginer qu’un certain déficit puisse être épongé s’il ne se reproduit pas les années suivantes, on n’a aucune garantie de ce que va être 2021, 2022, et une éventuelle reprise. C’est un point d’attention majeur. Ceci posé, il n’y a pas de secret : tous les niveaux de pouvoir sont impactés de manière inédite.

Face à un tel cataclysme, le programme culturel de la Déclaration de politique communautaire est-il encore contraignant ou n’a-t-il plus qu’une portée indicative ?

La déclaration reste notre ligne de route. L’ajustement budgétaire a été reporté à la fin de l’année. Il n’empêche que les budgets prévus sont toujours d’actualité et que toutes les subventions ont été maintenues – certaines ont même été liquidées de manière avancée pour faire face aux problèmes de trésorerie. Maintenir les budgets, c’est déjà un soutien de la Fédération.

Vous maintenez donc aussi tous les budgets de subventions aux projets individuels, que ce soit ceux du Conseil d’aide aux projets théâtraux, les bourses d’auteurs pour les Lettres, tout ce qui permet aux créatifs de se maintenir en activité ?

Tout ce qui est prévu dans le budget. Tout, tout, tout !

Enfin le tax shelter. Qu’avez-vous obtenu du fédéral ?

Bénédicte Linard, ministre de la Culture: «Il est urgent que vienne l’aide du fédéral aux artistes»Je n’ai pas eu davantage de réponse du fédéral que ce qui est déjà connu : une souplesse de douze mois sur les délais. Avec l’aide du ministre-président, je fais du mieux que je peux pour être le porte-voix du secteur culturel auprès des autres pouvoirs. Les artistes ne sont pas tout seuls, ils ont une ministre à leurs côtés, mais on sait qu’on ne pourra effacer d’un coup de cuiller à pot l’impact de cette crise.